Le fracas des bombes est assourdissant dans le bateau. Des explosions secouent la coque du HMS Amethyst, piégée au cœur de la Chine sur le fleuve Yang-Tsé-Kiang. La fumée s’engouffre dans les coursives. Des cris étouffés résonnent. À bord, c’est le chaos. Des hommes tombent. Un obus vient d’éventrer la paroi du mess. Et dans cette scène de guerre bien réelle, un petit corps gît au sol.
C’est un chat.
Du sang perle sur son flanc. Son pelage noir et blanc est souillé, même brûlé par endroits. Il ne bouge plus. Jusqu’à ce qu’une oreille se redresse, lentement. Puis l’autre. Simon — c’est son nom — vient de survivre à une attaque meurtrière. Et malgré les éclats d’obus logés dans sa patte, il va bientôt se relever… pour reprendre son rôle au sein de la Royal Navy.
Car Simon n’est pas seulement un chat à bord d’un navire de guerre. Il est un membre de l’équipage. Et dans les jours qui suivent, il deviendra un symbole de résistance, un camarade indispensable, et le premier chat à recevoir une médaille pour bravoure militaire.
Bonjour mes amis des chats. Depuis 2012, je vous explique le comportement de votre chat au quotidien sur laVieDesChats. Vous savez que j’aime vous raconter parfois l’histoire de chats ordinaires dans des aventures extraordinaires. Vous allez aimer rencontrer ce chat héros de guerre, voici l’histoire de Simon.
Vidéo de cet article : regardez cette vidéo avec sous titres sur la chaîne Youtube en cliquant sur cette image.
Si vous aimez ces infos et ces images alors mettez un coussinet bleu ici en 1 clic.
1949, le Yang-Tsé-Kiang en feu
En 1949, la Chine vit un tournant violent de son histoire moderne. La guerre civile entre nationalistes et communistes touche à sa fin. Les troupes de Mao progressent vers la victoire. Partout, le pouvoir vacille. Les étrangers sont regardés avec méfiance.
Dans ce climat de brasier politique, le fleuve Yang-Tsé-Kiang devient un axe stratégique vital. Les puissances occidentales veulent contrôler le fleuve avec leurs marines.
C’est dans ce contexte tendu que le HMS Amethyst, un bateau de guerre britannique, reçoit l’ordre de remonter le Yang-Tsé-Kiang jusqu’à Nankin. Sa mission officielle : livrer du matériel à l’ambassade britannique.
Le 20 avril 1949, alors que le navire navigue calmement sur le fleuve, des tirs éclatent depuis la berge. Des batteries communistes ouvrent le feu, sans sommation. L’attaque est brutale, directe. Plusieurs obus frappent de plein fouet la coque. Le commandant est tué sur le coup. L’équipage, pris au piège, tente de répliquer, de s’abriter, de survivre.
Bloqués pendant 101 jours sous le feu ennemi
Le HMS Amethyst parvient à s’échouer sur une île du fleuve, à l’abri des tirs. Mais le siège commence. Cent un jours d’encerclement et de rationnement, c’est ce que les membres du navire vont affronter. Pas de renforts possibles. Pas de solution évidente. Les communications sont coupées. Le monde ignore presque tout du sort du navire.
À bord, les hommes sont exténués. Blessés pour certains. Moral en berne pour tous. Et c’est là, entre deux silences de plomb, que réapparaît une silhouette familière dans les couloirs.
Le petit chat noir et blanc, Simon, avance lentement. Son flanc est encore marqué par les éclats. Mais il marche. Il est vivant. Et à sa manière, il va continuer à faire ce qu’il sait faire : tenir bon.
Un passager clandestin à quatre pattes
Quelques mois avant l’attaque sur le fleuve, le HMS Amethyst est encore au sud de la Chine, amarré à quai au port de Hong Kong. Parmi les nombreux cordages, un petit chat très maigre déambule. Il ne cesse de passer entre les caisses d’approvisionnement et les jambes des marins. Son pelage noir et blanc est sale, mais ses yeux brillent d’intelligence et de prudence. Il est jeune et il a déjà connu la débrouille.
C’est là que le marin George Hickinbottom, attendri par la silhouette de Simon, décide de l’adopter. Il va même à l’encontre du règlement à bord en le laissant monter sur le navire. Il n’a ni uniforme ni matricule, mais il devient vite indispensable. Ce chat est devenu, en quelques ronronnements, la mascotte de tout l’équipage.
L’ennemi et les rats rôdent
Sur les navires de guerre en 1949, surtout dans les eaux tropicales, les rats sont un fléau. Ils s’attaquent aux réserves alimentaires, rongent les câbles et propagent des maladies. Simon s’attaque à eux avec une efficacité redoutable. En quelques semaines, il nettoie toutes les soutes. Sa silhouette discrète, son flair, et sa capacité à se faufiler partout, en font un chasseur redouté des rongeurs. Il obtient ce qu’il y a de plus précieux à bord, le respect de chaque marin.
Mais Simon n’est pas seulement un tueur de rongeurs. Il s’installe aussi dans le quotidien du navire de guerre. Il devient un compagnon d’armes. Il dort dans les bottes des matelots, il s’invite au mess. Partout sur le pont, on le voit explorer avec une nonchalance séduisante. Ce chat a ses habitudes, ses coins favoris, ses rituels.
Dans cet univers masculin et sous tension, Simon devient un fragment de tendresse. C’est le contrepoint vivant à la tension permanente d’une mission militaire. Sa seule présence apaise. On le caresse machinalement en remontant du quart, on lui parle à voix basse comme à un confident.
Il est chat, mascotte, psychologue et chef de lutte anti-nuisibles à la fois.
C’est donc en pleine mission diplomatique, quand le HMS Amethyst lève l’ancre pour Nankin, que Simon embarque officieusement. Personne ne se doute alors que ce chat vagabond, recueilli par pitié dans un port d’Asie, deviendra bientôt un acteur d’un siège militaire, et l’un des animaux les plus décorés de l’Histoire.
Le feu et le sang
20 avril 1949. Il est un peu plus de 8 heures du matin. Le HMS Amethyst glisse lentement sur les eaux brunes du fleuve Yang-Tsé-Kiang, entre les rizières et les berges encore embrumées.
Rien ne laisse présager l’enfer qui va suivre.
À hauteur de Jiangyin, les tirs éclatent. Secs. Précis. Meurtriers. Des batteries de l’Armée populaire chinoise de libération, postées sur les rives, ouvrent le feu sans avertissement. L’un des premiers obus atteint la passerelle de commandement : le capitaine Skinner est tué sur le coup. Plusieurs marins sont blessés ou tués en quelques minutes. La coque est percée en plusieurs endroits. Le navire, vulnérable et désorienté, tente de se replier mais s’échoue finalement sur un banc de sable à l’abri des tirs directs.
Dans le tumulte de l’attaque et le vacarme des bombardements, un marin remarque quelque chose dans un couloir éventré
Un petit corps immobile est pris entre deux armoires métalliques tordues par l’impact. C’est Simon.
Il a été touché. Des éclats d’obus ont transpercé son flanc gauche et lacéré sa patte arrière. Sa respiration est faible. Le sang imbibe son pelage. Ce devrait être la fin d’un chat de bord. Un dommage collatéral parmi d’autres.
Mais Simon ne meurt pas.
Le marin l’extrait des débris avec précaution. Il l’enveloppe dans une serviette et le confie à l’un des membres de l’infirmerie. On désinfecte ses plaies du mieux qu’on peut, avec les moyens du bord. Pendant plusieurs jours, il ne bouge pas, retranché dans un recoin de la salle médicale, entre des caisses de bandages et de morphine.
La vie à bord pendant le siège
A bord, l’équipage s’organise pour tenir dans le confinement que les assaillants imposent. Le siège de 101 jours a commencé. Chaque jour, on prend des nouvelles des blessés. Parmi eux, le chat Simon est toujours immobile sur sa serviette.
Et un soir, contre toute attente, il se relève.
Il titube d’abord, sa patte traînant légèrement. Puis Simon recommence à explorer. À flairer. À rôder.
Et un matin, comme si de rien n’était, il ramène dans sa gueule un rat mort, qu’il dépose fièrement dans le mess comme pour dire : Je suis toujours là. Et je fais ma part.
Ce simple geste, banal en apparence, a un impact immense. Les marins, épuisés, traumatisés, affamés, voient dans ce petit chat cabossé une force silencieuse. Si lui, frappé par un obus, continue à faire son travail… pourquoi pas eux ?
Le symbole vivant du moral de l’équipage
Les jours passent, puis les semaines. Le HMS Amethyst est toujours bloqué sur son banc de sable au milieu du Yang-Tsé-Kiang. Il devient un navire fantôme, invisible au monde, mais bien vivant à l’intérieur.
À bord, les vivres s’amenuisent. L’eau potable est rationnée. Les blessés cicatrisent lentement, dans la moiteur des cabines sans ventilation. Le moindre bruit sur les berges provoque une alerte. Le navire est encerclé, sous menace constante, sans possibilité de secours immédiat. Cent un jours de siège, à attendre, espérer, improviser.
Et dans cette atmosphère de tension permanente, le chat Simon devient une présence familière et réconfortante.
Chaque matin, il est présent. Il se faufile entre les bottes, saute sur les lits métalliques, gratte doucement à la porte du mess. Il dort dans les casiers, ronronne au creux des bras fatigués, inspecte silencieusement les recoins du navire comme s’il veillait sur chacun.
Simon recommence à chasser les rats
C’est une mission vitale car les rongeurs s’attaquent aux dernières denrées. Mais au-delà de ses prouesses de chasseur, Simon devient le symbole d’une vie qui résiste.
Il n’a pas quitté le navire. Il n’a pas fui. Il a survécu. Et chaque jour, il continue à faire ce qu’il sait faire, comme si la guerre n’avait pas le pouvoir de tout briser.
Les marins lui parlent. Certains lui écrivent même de petites notes, glissées dans une boîte à outils transformée en « boîte aux lettres de Simon ». Simon devient un héros discret, mais bien réel.
Il n’est pas seulement un chat. Il est un lien entre les hommes du bord. Il est une distraction bienvenue, un point d’ancrage émotionnel dans la tourmente.
Quand enfin survient la Libération. Le 30 juillet 1949, le HMS Amethyst réussit une fuite audacieuse sous le couvert de la nuit. Cette manœuvre spectaculaire est restée célèbre sous le nom de « Amethyst Incident ».
Simon est à bord. Vivant. Debout. Et, comme toujours, fidèle à son poste.
La médaille et la reconnaissance mondiale
Lorsque le HMS Amethyst parvient à rejoindre Hong Kong en août 1949, l’accueil est triomphal. L’équipage, exténué mais vivant, est salué comme un exemple de bravoure et de discipline militaire. Les journaux du monde entier relatent l’incident, les photos du navire criblé de balles font le tour du globe… et, au milieu des portraits de marins, une silhouette attire l’attention : celle du chat Simon.
Simon, le petit survivant noir et blanc, est immédiatement adopté par le public. Les lettres d’admiration affluent. Des enfants lui envoient des boîtes de sardines. Des soldats retraités lui adressent des mots de fraternité. Des journaux le décrivent comme « le plus courageux chat de Sa Majesté ».
Mais la reconnaissance ne s’arrête pas aux mots.
Le People’s Dispensary for Sick Animals (PDSA), une organisation britannique créée pour soigner les animaux blessés par la guerre, lui décerne la Dickin Medal, la plus haute distinction militaire accordée à un animal.
Créée pendant la Seconde Guerre mondiale, cette médaille est souvent surnommée la « Victoria Cross des animaux ». Elle récompense les actes de bravoure exceptionnels accomplis par des animaux au service des humains en temps de conflit.
Simon devient ainsi le seul chat de l’Histoire à recevoir la Dickin Medal
La citation officielle loue son courage pendant l’attaque du Amethyst, son service continu malgré ses blessures. Le texte de remerciement souligne le soutien moral qu’il a apporté à l’équipage pendant le siège. Il reçoit également le grade symbolique de « Able Seacat », l’équivalent de grade de matelot de première classe pour félin.
Des cérémonies sont prévues. Des interviews. Une tournée dans les écoles et les hôpitaux est même envisagée.
Mais Simon est affaibli par ses premières années d’existence où il a connu la maladie et la faim.
Le déclin de Simon
Lorsqu’il est placé en quarantaine obligatoire à son retour, pour respecter la réglementation sanitaire du Royaume-Uni, son état se dégrade rapidement. Des soins sont prodigués, mais il développe une infection virale contre laquelle son organisme épuisé ne peut plus lutter.
Le chat Simon meurt le 28 novembre 1949, à l’âge estimé de deux ans.
Il est enterré avec les honneurs militaires dans le cimetière animalier de PDSA à Ilford, au nord-est de Londres. Lors de la cérémonie, ces mots ont été prononcés :
« À Simon – Pour services rendus, loyauté, et bravoure. Il a donné du courage aux hommes quand il n’y avait plus rien à espérer. »
Des histoires extraordinaires de chats ordinaires
J’adore vous les raconter. Avant la prochaine, je vous rappelle que je vous en propose toute une série dans ce petit ouvrage rédigé par l’amoureux des chats que je suis. Il s’appelle « Les Belles Histoires Incroyables de Chats« .
Et si vous voulez que je vous commente ce que ce chat Simon a vécu à chaque épisode de cette aventure, dites-le moi en commentaire. Je ferai l’analyse de son comportement avec plaisir. Ainsi, vous pourrez retrouver dans les qualités de votre propre chat un peu de l’âme du héros Simon, le premier chat décoré d’une médaille militaire.